Ne constitue pas un motif valable le fait que le donneur d’ouvrage ne soit pas emballé d’accorder le contrat au plus bas soumissionnaire conforme du premier appel d’offres et qu’il souhaite donner une deuxième chance au soumissionnaire à qui il souhaiterait accorder le contrat. Un second appel d’offres pour le même projet ne peut être lancé que pour des motifs de saine administration ou en raison de circonstances particulières, par exemple lorsque les soumissions dépassent les prévisions financières du donneur d’ouvrage et qu’il modifie son projet pour réduire les coûts.
Lorsqu’un deuxième appel d’offres est lancé, un soumissionnaire insatisfait doit prendre une importante décision : instituer immédiatement des procédures judiciaires contre le donneur d’ouvrage pour contester sa décision d’annuler le premier appel d’offres, ou tenter sa chance d’obtenir le contrat en soumissionnant sur le second appel d’offres.
Il s’agit d’une décision lourde de conséquences puisque certains juges ont déjà décidé qu’en soumissionnant sur le deuxième appel d’offres sans avoir préalablement attaqué sa légalité devant les tribunaux, le soumissionnaire aurait en quelque sorte renoncé à s’en plaindre en tentant sa chance d’obtenir le contrat sur le second appel d’offres.
La décision de ne pas soumissionner sur le second appel d’offres comporte elle aussi son lot de risques, puisque si la Cour décide que la décision de lancer un second appel d’offres était légale et justifiée, le soumissionnaire qui n’a pas déposé de soumission en réponse au second appel d’offres perd irrémédiablement toute chance d’obtenir le contrat ainsi que toute réclamation contre le donneur d’ouvrage.
Le récent jugement dans l’affaire Sani-Eco inc. c. Brossard (Ville de), 2014 QCCS 4405, constitue une illustration des conséquences fâcheuses pour le soumissionnaire de prendre le risque de ne pas soumissionner sur le second appel d’offres.
Brossard lance un premier appel d’offres pour la collecte des matières résiduelles sur son territoire. Le devis prévoit que les soumissionnaires doivent soumettre un prix pour chacun des huit différents scénarios de collecte. À la suite des représentations de Sani-Eco à l’effet que Brossard pourrait économiser gros si elle ajoutait des scénarios autorisant une collecte étalée sur deux jours plutôt qu’un seul, Brossard émet un addenda. Cet addenda prévoit expressément que le soumissionnaire doit soumettre un prix pour chacun des scénarios, mais Sani-Eco ne soumet des prix que pour le scénario d’une collecte étalée sur deux jours, en se fiant sur des communications verbales avec un fonctionnaire de Brossard.
Se questionnant sur la conformité de la soumission de Sani-Eco, qui n’a pas soumis un prix pour chacun des scénarios, et face aux menaces de poursuites judiciaires d’un autre soumissionnaire s’étant conformé à cette obligation, Brossard décide de lancer un second appel d’offres. Celui-ci ne prévoit plus l’obligation de soumettre un prix pour chacun des scénarios. Ce faisant, Brossard croit qu’elle élimine le risque de poursuites judiciaires tout en espérant que de nouveaux soumissionnaires seront attirés par la souplesse du second appel d’offres.
Sani-Eco choisit de ne pas répondre au second appel d’offres puisqu’elle considère, d’une part, que « les dés sont pipés » et, d’autre part, que sa première soumission est toujours valide, Brossard n’ayant pas adopté une résolution pour annuler le premier appel d’offres, celle-ci ayant plutôt simplement publié le second appel d’offres sur le S.E.A.O.
Une seule entreprise soumissionne sur le second appel d’offres et le contrat lui est octroyé pour une collecte des ordures un jour par semaine. Quelques mois plus tard, Sani-Eco intente un recours en nullité et en dommages-intérêts de 1 938 029,00$ contre Brossard.
Bien que la Cour supérieure qualifie la conduite de Brossard dans ce dossier de « cafouillage de bonne foi », celle-ci rejette le recours. La Cour considère que la soumission de Sani-Eco, qui n’avait pas indiqué un prix pour chacun des scénarios, était tout simplement non conforme et viciée d’une irrégularité majeure. Brossard aurait dû tout simplement accorder le contrat au plus bas soumissionnaire conforme du premier appel d’offres. Brossard a plutôt choisi de lancer un second appel d’offres, et la Cour retient que cette décision a été causée par le fait que Sani-Eco s’est indûment immiscée dans le processus décisionnel de Brossard en faisant tout pour la convaincre qu’un scénario d’une collecte sur deux jours serait une meilleure option pour ses contribuables. Sani-Eco aurait d’ailleurs dû savoir qu’elle ne pouvait se fier sur des communications verbales avec un fonctionnaire de Brossard quant à la conformité de sa soumission. Celle-ci ne peut se lier que par le devis et les addendas écrits.
Quant aux motifs invoqués par Sani-Eco pour ne pas avoir répondu au second appel d’offres, la Cour considère que Brossard n’avait pas à adopter une résolution pour annuler le premier appel d’offres et que Sani-Eco aurait dû comprendre que le premier appel d’offres était annulé lorsque Brossard a publié un second appel d’offres sur le S.E.A.O.
Étant à l’origine de l’imbroglio ayant causé l’annulation du premier appel d’offres, et n’ayant pas soumissionné sur le second appel d’offres, la Cour considère que le recours de Sani-Eco est mal fondé.
Cette affaire démontre que lorsqu’il est confronté à un second appel d’offres, la décision du soumissionnaire de déposer ou non une deuxième soumission peut être lourde de conséquences. Seul un examen minutieux de toutes les circonstances peut permettre à l’entrepreneur de prendre la bonne décision.
Portail Constructo, Novembre 2014