Dans une décision du 17 novembre 2020, le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») affirmait que « l’un des rôles fondamentaux du directeur général est d’être un rempart entre le politique et l’administration »....
Dans une décision du 17 novembre 2020, le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») affirmait que « l’un des rôles fondamentaux du directeur général est d’être un rempart entre le politique et l’administration ». Il s’agit de l’affaire Larose c. Ville de Chambly [1], dans laquelle le TAT rejette la plainte de l’ancien directeur général de la Ville de Chambly et confirme sa destitution.
La particularité de cette affaire est que le directeur général, monsieur Larose, était en poste alors que, dans une autre décision du TAT [2], le Tribunal annulait la destitution et ordonnait la réintégration de l’ancien directeur général, monsieur Lacroix, qui était en poste avant monsieur Larose. La résolution du conseil municipal destituant le directeur général Larose ne mentionne d’ailleurs pas cette réintégration du directeur général antérieur comme cause de fin d’emploi. Par contre, le jour même de l’adoption de cette résolution de destitution, la Ville remet à monsieur Larose une lettre de fin d’emploi qui soulève d’autres motifs de destitution, dont l’utilisation inappropriée de cartes de crédit et d’un véhicule, les dépassements de coûts de certains projets sans autorisation du conseil, ainsi que la gestion déficiente de la suspension d’un employé.
Dans l’affaire qui nous occupe, le TAT répond d’abord à la question de savoir ce qu’il advient d’un directeur général en poste lorsqu’un directeur général antérieur est réintégré dans son poste. Selon le TAT, il s’agit là d’un motif suffisant pour mettre fin à l’emploi du directeur général actuel, puisqu’il est impossible de maintenir en poste deux personnes au titre de directeur général.
Malgré ceci, et vu les manquements graves allégués par la Ville, le Tribunal examine ensuite la sagesse et le bien-fondé de ladécision de la Ville de mettre fin à l’emploi du plaignant.
Le TAT retient que le plaignant a manqué à ses obligations en négligeant d’informer le conseil de la suspension pour fins d’enquête qui avait été imposée à l’égard d’un employé. Selon la Loi, le directeur général doit en effet soumettre le dossier d’un employé suspendu au conseil. Selon la preuve, le directeur général avait refusé de soumettre cette suspension au conseil pour ne pas irriterle maire Lavoie. Le directeur général a d’ailleurs témoigné à l’effet qu’il craignait que le maire, majoritaire au conseil, ne le destitues’il n’obéissait pas à ses désirs
[3].
Ce sera finalement ce refus de tenir tête au maire et de servir « de rempart entre le politique et l’administration » qui justifiera la destitution du directeur général selon le TAT, qui s’exprime comme suit :
« [102] Or, l’un des rôles fondamentaux du directeur général est d’être un rempart entre le politique et l’administration. Il est redevable au Conseil, pas au maire15. Soutenir que parce que le maire est “majoritaire” cela emporte que le Conseil suivra invariablement ses volontés, révèle un mépris pour le libre arbitre des conseillers qui le forment.
[103] Certes, la relation entre le maire et le directeur général porte dans sa nature même une source de conflits. Il n’est pas rare,surtout dans de petites organisations, que le maire se comporte comme s’il était “le big boss” selon l’expression utilisée parmonsieur Larose. C’est pour cette raison (en partie du moins) que le législateur a érigé la protection législative des cadres municipaux.
[104] Ce régime met notamment à l’abri ces fonctionnaires de mesures qui pourraient leur être imposées s’ils s’opposent au maire dans l’intérêt de la ville et dans le respect des règles en vigueur.
[105] Dans la présente affaire, il est paradoxal que monsieur Larose se prévaut, après sa fin d’emploi, d’un recours qui vise à lui assurer une certaine indépendance face au maire pendant son emploi.
[106] Ainsi, monsieur Larose aurait pu avoir raison de contester sa destitution si elle avait été imposée parce qu’il avait contrevenu à la volonté du maire en faisant rapport au Conseil de la suspension du Surveillant.
[107] Mais il ne peut réussir dans sa contestation de sa destitution alors que ce qu’on lui reproche est justement de ne pas avoir fait preuve de cette indépendance pendant son emploi.
[108] Or, c’est pourtant ce que retient le Tribunal de l’ensemble de la preuve. Monsieur Larose avait un souci constant de suivre la volonté du maire afin d’éviter d’être destitué. Ce faisant il favorise son intérêt personnel à celui de la Ville. »
Ironiquement, c’est donc le souci du directeur général d’éviter d’être destitué par le maire qui entraînera la confirmation de sa destitution par le TAT.
Jusqu’à la décision dans Larose c. Chambly, le rôle du directeur général qui agit comme une véritable « courroie de transmission »entre le politique et l’administratif était bien connu. Ce rôle est exprimé à 114 (10) de la Loi sur les cités et villes qui prévoit que le directeur général « assure les communications entre le conseil, le comité exécutif et les commissions, d’une part, et les autres fonctionnaires et employés de la municipalité, d’autre part ». L’article 212 (10) du Code municipal est au même effet.
La récente décision dans Larose c. Chambly ajoute en quelque sorte aux fonctions du directeur général prévues à la Loi en ce que, selon le TAT, il doit non seulement assurer les communications entre le politique et l’administration, mais il doit de plus agir comme rempart entre ces deux sphères et tenir tête au politique lorsque les circonstances le justifient.
[1] 2020 QCTAT 4215
[2] Lacroix c. Ville de Chambly , 2019 QCTAT 2208
[3] Idem note 1, paragraphe 99