Le ministre des transports du Québec forcé d’agir
Par Me Caroline Charron, avocate associée, DHC Avocats
Le 18 janvier 2021, la Cour supérieure ordonnait au ministre des Transports du Québec de procéder à des travaux de réfection d’une partie d’une route sous sa juridiction, à la demande de la Municipalité de Wentworth-Nord[1]
Les faits
Une partie de la route principale qui traverse le territoire de la Municipalité comprend une courbe prononcée dotée d’un devers inversé, et sans drainage, rendant cette courbe dangereuse pour la sécurité des automobilistes, cyclistes et piétons qui s’y engagent[2]. Au cours des années, la Municipalité a eu des échanges avec les représentants du MTQ pour la réfection de cette courbe mais sans succès.
Le recours
La Municipalité a donc intenté une demande de pourvoi en contrôle judiciaire afin de forcer l’exécution des travaux en vertu de l’article 14 de la Loi sur la voirie qui prévoit pour le MTQ, un devoir général de construction, de réfection et d’entretien des routes[3].
La décision
La Cour supérieure, dans une décision étoffée de 123 paragraphes, confirme d’abord que la loi impose une obligation au MTQ concernant les routes sous son autorité, et qu’elle doit être exécutée notamment en prenant les moyens raisonnables afin de prévenir les accidents[4]. Cela étant, et considérant que le Procureur général du Québec arguait que le MTQ bénéficiait de l’immunité relative de l’État, la Cour devait déterminer à quelle « sphère » la décision du MTQ appartenait[5], « la ligne de démarcation entre le « politique » et l’ « opérationnel » est difficile à établir »[6].
La Cour conclut que la décision du MTQ d’effectuer ou non de tels travaux est prise en application de son programme de planification de travaux et est donc une décision de nature politique[7]. La Cour supérieure conclut toutefois qu’en l’espèce, la décision du MTQ a été prise à l’encontre de la bonne foi :
« [107] Dans ces circonstances particulières et exceptionnelles, la décision d’aller à l’encontre des recommandations de l’Étude des besoins PC-0, de ne pas entreprendre l’étude des solutions et d’attendre la survenance d’un accident grave ou mortel, avant de pallier la problématique, correspond à une décision prise à l’encontre de la bonne foi, puisque « la passivité non motivée ou mal motivée ne peut être une décision de politique prise dans l’exercice de bonne foi d’un pouvoir discrétionnaire » . »
Il faut savoir que le MTQ contestait la dangerosité de la courbe en question, s’appuyant entre autres sur une expertise préparée par un ingénieur du MTQ, qui a été en quelque sorte écartée par la juge : cette expertise « tire ses constats et conclusions à partir de données incomplètes »[8], que l’expert « interprète les données consignées dans ces rapports en fonction d’hypothèses qui ne concordent pas nécessairement avec la réalité vécue par les accidentés »[9] et qu’au cours de son témoignage, l’expert « reconnaît que les rapports de police ne contiennent pas suffisamment d’informations pour lui permettre d’identifier avec exactitude la cause des accidents répertoriés et la trajectoire des voitures »[10].
Pour résumer :
« [109] Il ne faut pas perdre de vue que l’article 14 de la Loi impose au MTQ une obligation d’entretenir et d’effectuer la réfection des routes sous sa responsabilité. Il doit s’acquitter de cette obligation de manière diligente, notamment en prenant les moyens raisonnables afin de prévenir les accidents sur les routes sous sa responsabilité.
[110] En l’espèce, la problématique du Segment en litige, reconnue par le MTQ, cumulée à l’inaction de celui-ci, s’échelonnant sur plus de vingt ans, malgré la présence d’accidents attribuables à cette problématique, ne saurait correspondre à l’exercice de bonne foi de son pouvoir discrétionnaire de prioriser les projets devant être réalisés.
[1] Wentworth-Nord (Municipalité de) c. PGQ, no 700-17-016371-196, Cour supérieure, j. É. Poisson
[2] Faits allégués par la Municipalité, paragraphes 6 à 8 du jugement
[3] Paragraphe 41 du jugement
[4] Paragraphes 42 et 43 du jugement
[5] Paragraphes 48 à 59 du jugement
[6] Paragraphe 48 du jugement
[7] Paragraphe 58 du jugement
[8] Paragraphes 96 à 99 du jugement
[9] Paragraphe 97 du jugement
[10] Paragraphe 99 du jugement