Comme l’enseigne le vieil adage juridique : on ne peut lier le pouvoir réglementaire des conseils futurs. Par conséquent, il n’y a aucune garantie de pérennité de la réglementation municipale : ce qu’un conseil municipal a fait, un conseil futur peut le défaire.
Voilà pour la théorie. Il semble cependant que les nouvelles obligations faites au monde municipal d’élaborer et de mettre en oeuvre un plan régional des milieux humides et hydriques (PRMHH) crée une brèche dans cet adage juridique. Explications.
Une analyse des dispositions législatives applicables en ce domaine nous incite en effet à soutenir qu’une fois que la protection des milieux humides présents sur le territoire une MRC aura été enchâssée dans le futur PRMHH et intégrée dans les règlements d’urbanisme locaux, il sera très difficile, voire impossible, pour un conseil futur de soustraire ces dits milieux humides à la protection réglementaire qui leur aura été ainsi accordée.
L’obligation de la MRC d’élaborer et mettre en oeuvre un plan régional des milieux humides et hydriques
Depuis l’adoption de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques (L.Q. 2017, c. 14), les MRC ont l’obligation d’élaborer et mettre en oeuvre un PRMHH. Cette obligation se trouve à l’article 15, al. 1 de la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et favorisant une meilleure gouvernance de l’eau et des milieux associés (RLRQ, c. C-6.2 ; ci-après « Loi sur l’eau »).
Les MRC ne disposeront pas d’une autonomie absolue quant à l’élaboration de leur PRMHH puisque celui-ci devra être approuvé par le ministre de l’Environnement, après consultation de certains collègues (art. 15.4 Loi sur l’eau). Manifestement, les autorités gouvernementales auront leur mot à dire dans l’élaboration des PRMHH! Aussi, avant d’approuver un PRMHH, le ministre de l’Environnement devra veiller à ce que le plan proposé par une MRC respecte une série de principes énumérés au deuxième alinéa de l’article 15.4 de la Loi sur l’eau, dont le fameux principe d’«aucune perte nette» qui veut que nous ne détruisions plus de milieux humides et hydriques dans l’avenir, un principe cardinal inscrit dans le préambule de la Loi sur l’eau.
Dans un tel contexte, l’approbation des PRMHH par le ministre de l’Environnement se veut une garantie que les MRC élaboreront des plans qui respectent les principes de la Loi et que, par conséquent, elles accorderont une véritable attention à la protection de ces milieux. Une MRC qui tenterait d’éluder l’application de la Loi et qui ne favoriserait pas, dans son PRMHH, une protection effective des milieux humides et hydriques sur son territoire se fera vraisemblablement rappeler à l’ordre par le ministre.
Le lien entre le PRMHH et le schéma d’aménagement et de développement
Le législateur a aussi établi un lien entre les PRMHH et les schémas d’aménagement et de développement (SAD), relevant également des MRC. L’article 15.5 de la Loi sur l’eau prévoit ainsi que la MRC doit assurer « la compatibilité de son schéma d’aménagement et de développement avec le plan régional ». Or, selon la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, toute modification apportée à un SAD doit également recevoir l’approbation du ministre responsable des Affaires municipales quant à la conformité de la modification proposée aux orientations gouvernementale (art. 53.7 L.a.u.). Encore ici, devant une proposition de modification d’un SAD qui ne respecterait pas les orientations gouvernementales relatives à la protection des milieux humides, les autorités gouvernementales auront alors un pouvoir de désaveu du SAD ainsi proposé.
Bref, compte tenu de la ‘mécanique législative’ relative à l’élaboration et la mise en oeuvre des PRMHH, nous sommes d’avis que les MRC n’auront d’autre choix que de s’adonner à un exercice rigoureux quant à la situation des milieux humides sur leur territoire et quant à la définition des objectifs de conservation de ceux-ci. Ne le feraient-elles pas que les ministres concernés disposent du pouvoir d’exiger des correctifs de leur part quant à la protection des milieux humides et hydriques. Cette mécanique législative, à double vérification, permet de croire qu’il sera virtuellement impossible pour une MRC d’amoindrir les protections accordées aux milieux humides sur son territoire une fois son PRMHH et les modifications à son SAD approuvés par les ministres concernés. Autrement dit, il ne sera plus possible de défaire, dans le futur, ce qui aura été fait antérieurement en termes de protection des milieux humides et hydriques, à moins d’une approbation – bien improbable – de la part de ces ministres.
La mise en oeuvre effective de la protection des milieux humides et hydriques suite à l’adoption d’un PRMHH
La première mesure de mise en oeuvre des PRMHH se trouve à l’article 15.5 de la Loi sur l’eau, lequel prévoit qu’une MRC doit adopter un règlement de contrôle intérimaire applicable sur son territoire entre le moment où le ministre de l’Environnement approuve son RMHH et celui où les mesures de protection des milieux humides et hydriques, dorénavant incluses à son SAD, auront été intégrées aux règlements d’urbanisme locaux.
Il appartiendra ensuite aux municipalités locales d’assurer la protection des milieux humides situés sur leur territoire en faisant usage des pouvoirs réglementaires qui se trouvent à l’art. 113 (16°) L.a.u., ceux-ci permettant littéralement aux municipalités de prohiber tous les usages du sol, constructions ou ouvrages dans ce type de milieu.
Comme nous l’avons vu précédemment, une fois ces mesures adoptées, il deviendra difficile, pour un prochain conseil, de les abroger dans le futur, notamment dans la mesure où elles auront été intégrées dans le train de mesures de protection des milieux humides et hydriques découlant de l’adoption et de la mise en oeuvre du PRMHH de la MRC.
Voilà pourquoi nous sommes d’avis qu’il sera dès lors très difficile, voire impossible, d’abroger ces mesures, ne serait-ce qu’en raison du pouvoir de désaveu du ministre de l’Environnement, à propos du PRMHH, ou du ministre des Affaires municipales, à propos du SAD, et de l’obligation de conformité des règlements locaux d’urbanisme aux prescriptions du SAD. Voilà pourquoi nous sommes d’avis que le cadre légal mis en place par l’État québécois pour assurer la protection des milieux humides liera les futurs conseils municipaux qui ne pourront vraisemblablement plus défaire ce qui aura été fait par leurs prédécesseurs en ce domaine.
Résumé de l’article
Avec l’entrée en vigueur des plans régionaux de milieux humides et hydriques (PRMHH) et leur mise en oeuvre subséquente via les règlements d’urbanisme des municipalités locales, une analyse des mécanismes d’approbation des différents ministres concernés nous amènent à conclure que les conseils futurs ne pourront plus défaire les règlements adoptés par leurs prédécesseurs afin d’amoindrir la protection accordée à ces milieux.