Le 16 mars 2022, la Cour d’appel a rendu un arrêt important dans l’affaire Dupras c. Ville de Mascouche1 en matière de recours en expropriation déguisée.
Le 16 mars 2022, la Cour d’appel a rendu un arrêt important dans l’affaire Dupras c. Ville de Mascouche1 en matière de recours en expropriation déguisée.
Cet arrêt est intéressant puisqu’il s’inscrit à contre-courant d’une jurisprudence rendue par le même tribunal qui semblait limiter certains recours en expropriation déguisée.
Une analyse des affaires Meadowbrook Groupe Pacific inc. c. Ville de Montréal 2et Municipalité de Saint-Colomban c. Boutique de golf Gilles Gareau inc.3 confirme que la Cour d’appel a refusé de conclure qu’un règlement de zonage de la municipalité interdisant le développement résidentiel en vue d’y préférer un golf et autres usages récréotouristiques constituait une expropriation déguisée. Autrement dit, un simple changement de zonage et la seule diminution de la valeur de l’immeuble ou une perte de valeur potentielle ne suffisent pas pour conclure à une expropriation déguisée.
Par ailleurs, la Cour d’appel a récemment rappelé que le geste reproché doit équivaloir à une « négation absolue » de l’exercice du droit de propriété ou une « véritable confiscation de l’immeuble » et qu’une interdiction de subdiviser un lot et l’impossibilité d’y construire une 2e résidence ne constituait pas une expropriation déguisée.
En l’espèce, la Cour d’appel conclut à l’existence d’une expropriation déguisée visant un lot d’une propriétaire, Mme Ginette Dupras, faisant l’objet d’un zonage de type « conservation », à la suite de la modification réglementaire entreprise par la Ville de Mascouche (la « Ville »), et condamne cette dernière à verser une indemnité.
Le contexte factuel
Les faits du litige se résument essentiellement tels que suit.
Lors de l’acquisition du lot en 1976 par Mme Dupras à 1,00 $, celui-ci est boisé et se situe dans une zone permettant un usage résidentiel sur 70 % du lot.
À partir de 1985, la propriétaire conclut une entente prévoyant l’aménagement d’une piste de ski de fond par la Ville.
Le 5 septembre 2006, la Ville modifie le zonage sur la totalité du lot pour que le seul usage qui y soit autorisé soit celui de « conservation » . Au terme de cette modification, la Cour d’appel détermine que toute construction est interdite et il n’est essentiellement permis que des usages pour des activités sylvicoles ou acéricoles, ou encore de récréation extensive.
Il appert toutefois que dès l’entrée en vigueur du schéma d’aménagement révisé de la MRC Les Moulins, en 2002, le lot était inclus dans une aire d’affectation « conservation » et que ledit règlement de zonage ne faisait alors que consacrer l’affectation prévue au schéma par obligation de concordance avec les outils de planification régionale.
En 2008, Mme Dupras prend connaissance de cette modification de zonage et entreprend des discussions avec la Ville espérant une éventuelle modification qui lui aurait fait recouvrer la possibilité de construire des résidences sur son lot. À défaut, Mme Dupras espérait que la Ville achète le lot.
Le 8 février 2016, la Ville l’informe qu’elle n’entend pas acquérir ledit lot.
Le 24 mars 2016, Mme Dupras intente ses procédures judiciaires en expropriation déguisée.
Le jugement
Sur l’existence d’une expropriation déguisée, la Cour d’appel a accueilli en partie l’appel principal en retenant ce qui suit :
En somme, la Cour d’appel conclut que bien que la Ville ait le pouvoir d’adopter des règlements restrictifs en vue de gérer et protéger l’environnement, ce pouvoir ne la dispense pas de son obligation d’indemniser un propriétaire foncier.
Conclusion
Cela dit, bien que le concept d’expropriation déguisée en droit québécois ne soit pas nouveau, les tribunaux continuent de préciser des cas où des municipalités, toutes tailles confondues, sevoient imposer l’obligation d’indemniser un propriétaire foncier malgré leur rôle en matière de protection de l’environnement et leur volonté d’agir de bonne foi. Les tribunaux doivent faire preuve de prudence lors de l’analyse du potentiel résiduel d’utilisation d’un lot même lorsqu’il s’agit d’adopter des mesures de protection environnementale.
Nous notons également qu’aux paragraphes 38 et 39 de son jugement, la Cour d’appel s’enremet au législateur afin qu’il modifie, si besoin est, l’article 113(12.1) de la L.a.u. D’ailleurs,elle précise que, sous réserve d’une habilitation législative spécifique en ce sens, lorsque découle de l’exercice d’un pouvoir réglementaire une expropriation déguisée, le coût de cette mesure ne peut revenir au seul propriétaire, lequel a droit à une indemnisation suffisante.
Nous vous invitons donc à consulter DHC Avocats inc. afin d’en apprendre davantage sur les limitations imposées par les tribunaux en la matière.