Un avocat se spécialise dans la chasse à ces trolls du web qui profitent de plus en plus de leur anonymat pour harceler et diffamer les élus sur les réseaux sociaux.
« Ce n’est pas parce que quelqu’un se crée un faux profil ou se cache derrière Facebook qu’il peut dire n’importe quoi et détruire les gens. C’est complètement absurde », lance Me Rino Soucy. L’avocat a développé un outil pour débusquer les individus malveillants anonymes sur les réseaux sociaux.
L’approche des élections municipales, la démarche de l’avocat prend tout son sens. Rappelons que plusieurs élus ont choisi de ne pas se représenter cette année à cause du climat nocif qui règne sur les réseaux sociaux.
« C’est une triste affaire. Dans les dernières années, les réseaux sociaux ont vivement affecté différentes personnes. Et avec raison. C’est très dommage », commente l’avocat.
Plusieurs maires, dont ceux de Cantley, en Outaouais, de Rivière-Rouge, dans les Laurentides, de Mercier, en Montérégie et de Fossambault-sur-le-Lac, près de Québec, l’ont contacté après avoir vu des publications mensongères à leur sujet sur Facebook, explique-t-il.
Aucune idée de l’identité
Le problème, c’est qu’ils n’avaient aucune idée de l’identité de la personne derrière les publications, ce qui les empêchait de prendre recours devant les tribunaux pour faire cesser le préjudice.
« C’est d’autant plus dommageable. Quand les gens pensent qu’ils ne peuvent pas être identifiés, ils s’en permettent plus, laisse tomber Rino Soucy. On ne connaît pas les intentions de la personne. »
Grâce à une ordonnance de type Norwich, qui impose à une tierce personne comme Facebook de divulguer les informations qu’elle détient sur un profil, les plaignants parviennent maintenant à obtenir rapidement l’identité numérique de leurs trolls. Puis, avec l’adresse IP des profils et une ordonnance destinée cette fois à la compagnie d’internet, ils parviennent à localiser l’auteur.
Cette méthode a plusieurs fois porté fruit.
« Considérant l’urgence de la situation et le fait que l’utilisateur malveillant pourrait continuer sa campagne de salissage, il y a lieu d’intervenir afin d’éviter la continuation d’un mal évident et irréparable », peut-on lire dans l’une des demandes déposées par Me Soucy.
Personne n’est à l’abri
Ainsi, même derrière de fausses identités, les utilisateurs malveillants ne sont pas à l’abri de représailles s’ils tiennent des propos préjudiciables.
« Les gens doivent y penser deux fois avant de diffamer quelqu’un sur internet. Ce n’est plus vrai qu’on peut se cacher et inventer toutes sortes d’histoires sur des pages anonymes », prévient M Soucy.
Il rappelle au passage qu’il ne faut pas croire tout ce qu’on lit sur internet.
Des adversaires politiques derrière la page anonyme
Victimes de propos diffamatoires répétés de la part d’une page d’annonces anonyme de type « spotted», la mairesse la ville de Mercier en Montérégie a eu la surprise de découvrir que c’est le chef intérimaire du parti adverse qui se cachait derrière les publications.
« On n’a pas refait une criss de rue à Mercier depuis 6 ans à part celle de la mairesse », « voler par du monde corrompu », « power trip du bureau de la mairesse », « des menteurs professionnels » : ce serait Hugues Ménard et deux autres candidats du parti « Démocratie Mercier », Céline Braun et Yves Gervais, qui publiaient ces paroles et bien d’autres, allègue une poursuite civile déposée contre eux en décembre 2020.
« En tant qu’adversaires politiques, [ils] opèrent selon un modus operandi calculé depuis minimalement 2014, accusant sans cesse la Ville, et son administration, d’activités illicites ou questionnables et ce, sans fondement, et simplement pour obtenir des gains politiques », souligne le document de cour.
Les trois politiciens auraient même pris la peine de se créer de faux profils sous les noms « Rita Michaud » et « Serge Sauvageau » pour administrer la page « spotted ». Ils ont été retrouvés par leur adresse IP.
« N’importe qui peut faire de la diffamation. Dans ce cas-ci, on voit que les motifs, c’était évidemment de nuire à la mairesse et à l’administration de la ville. Il ne faut pas croire tout ce qu’il y a en ligne, il peut y avoir des mauvaises intentions cachées derrière les profils », lance l’avocat de la Ville, Rino Soucy.
La Ville de Mercier, la mairesse Lise Michaud et un conseiller municipal du district, Stéphane Roy, réclament ensemble la somme totale de 80 000$ en dommages et intérêts compensatoires et punitifs.
Des photos volées sur le profil d’une polonaise
À Cantley en Outaouais, c’est un faux profil Facebook alléguant que deux élus municipaux s’adonnaient à de graves magouilles en utilisant l’argent des contribuables pour gagner des appuis qui a fait sourciller.
Le profil en question, sous le nom de « Kayla Leduc » disait tenir ces informations de son père, « directeur général pendant quelques années à Cantley ».
Sauf qu’après plus amples recherches, les élus et l’avocat ont découvert qu’il s’agissait bel et bien d’un faux profil Facebook, parce que les photos avaient été tirées de celui d’Agnieszka Czarnecka, une Polonaise qui réside à Lublin.
« L’Utilisateur malveillant n’a pas l’intention de faire connaître son identité, [mais il] utilise ce média social afin de diffamer les [élus] en gardant son anonymat », soutient la demande déposée en septembre 2020.
L’utilisateur a finalement été retracé et la situation s’est réglée hors cour.
« Un faux profil Facebook ne met pas à l’abri quelqu’un de se faire attraper et poursuivre pour des propos diffamatoires », mentionne l’avocat.
Le tribunal est plus rapide sur les ordonnances
Mercredi dernier, Me Rino Soucy plaidait pour une énième fois devant le tribunal, cette fois au nom de la Ville de Fossambault-sur-le-Lac, victime de propos diffamatoire de la part du groupe public « Le Spotted Ste Cath/Fossambault et les 3 lacs ».
Ce groupe compte près de 4000 membres.
Le lendemain, il recevait déjà une décision favorable de la cour supérieure pour que des compagnies de téléphone et d’internet fournissent à la Ville les informations qu’ils détiennent sur les quatre administrateurs du groupe.
« C’est rapide. Il faut comprendre que le “party” est terminé et que les tribunaux n’hésitent pas à sévir dans des cas semblables, explique-t-il. Ils ont de la jurisprudence sur laquelle s’appuyer maintenant, donc ça va vite. »
Ils tenteront ainsi de retracer l’auteur d’un message, partagé dans le groupe sous une option « anonyme », qui traitait gratuitement le maire « d’incompétent » en laissant entendre qu’il acceptait des pots-de-vin.