Dans une décision récente1 , la Commission municipale du Québec scrutait le Code d’éthique et de déontologie des élus municipaux de la Municipalité de Kazabazua. Avec 1130 municipalités locales au Québec, il est toujours temps d’en découvrir une nouvelle constituée quand même en 1862; Kazabazua qui compte 976 citoyens fait partie de la MRC de la Vallée-de-la-Gatineau et elle tient son nom de la rivière du même nom d’origine amérindienne qui figure au Dictionnaire des rivières et des lacs publié en 1925 (Wikipédia).
La décision bien détaillée du juge administratif J.-A. Roy traite de trois manquements allégués au Code d’éthique par un membre du conseil qui aurait favorisé d’une manière abusive les intérêts de toute autre personne, en l’occurrence un ami et son fils, à l’occasion des discussions et décisions du conseil municipal portant sur le salaire et les conditions de travail de ces personnes qui sont à l’emploi de la municipalité. Le membre du conseil aurait également eu un intérêt pécuniaire particulier dans le contrat de travail de ces personnes avec la municipalité alors qu’il aurait participé à ces discussions et décisions du conseil sur ces questions.
Les faits mis en preuve sont plutôt simples: suite à un examen plus global de la rémunération de ses employés, le conseil en vient à discuter et à voter une augmentation de rémunération pour deux employés des Travaux publics, qui constituent des proches de l’élue citée en déontologie: dans un cas un fils majeur autonome financièrement et dans l’autre cas, un ami sans qu’il y ait vie commune. Le tribunal retiendra que l’implication de l’élue est minimale: ses interventions se limitent à la phrase « ça fait du sens » lors du plénier et à son vote au conseil « en levant son doigt » et il conclut finalement que les manquements n’ont pas été commis. Cette décision est intéressante parce qu’elle présente une analyse juridique rigoureuse et qu’elle nous démontre qu’il ne faut pas se fier uniquement aux apparences.
A première vue, comme le souligne le Tribunal, il est vrai que l’élue municipale « se place, à ces deux occasions, dans une situation où elle est susceptible de devoir choisir entre, d’une part, les intérêts (de ses proches) et, d’autre part, l’intérêt de la municipalité ».
Mais encore faut-il en référer aux manquements reprochés et au Code d’éthique en vigueur; ici, le Code de Kazabazua fait une distinction entre l’intérêt personnel de l’élu et l’intérêt de toute autre personne sans prévoir aucune règle particulière à l’égard de l’intérêt des proches des élus. En effet, l’article 5.3.1 du Code interdit à un élu de favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne. Cette disposition est conforme à la loi et elle distingue les intérêts personnels et ceux de toute autre personne. Il faut donc ici considérer les intérêts des proches de l’élue, soit ceux de son ami et de son fils, comme ceux de toute autre personne. Dans le cas des intérêts des autres personnes, la disposition exige ici que l’élue les ait favorisés d’une manière abusive ce que le Tribunal écarte vu l’implication minimale de l’élue dans ce débat. Le Tribunal en arrive à cette conclusion après avoir examiné en détails les Codes d’éthique de plusieurs municipalités où l’intérêt des proches a été pris en considération en assimilant l’intérêt personnel et l’intérêt des proches ou en interdisant simplement de favoriser l’intérêt de ses proches. On peut donc conclure qu’à Kazabazua et vraisemblablement dans d’autres municipalités du Québec, il n’est pas interdit aux termes de la loi et du Code d’éthique en vigueur de participer au débat et d’influencer une décision du conseil qui concerne un proche, parent ou ami, dans la mesure où on ne le fait pas de manière abusive ou « d’une façon répréhensible ».
Toutefois, dans ces cas, il faudra également s’assurer que les autres dispositions du Code d’éthique et de la loi sont respectés: que ce soit l’obligation de ne pas avoir d’intérêt pécuniaire particulier dans la question débattue au conseil (article 361 LERM) ou l’obligation de ne pas avoir d’intérêt, directement ou indirectement, dans un contrat existant avec la municipalité (article 304 LERM).
Le Tribunal aborde cette question en rejetant également le troisième manquement au Code d’éthique (art. 5.3.7) après avoir fait l’examen d’une jurisprudence abondante aux fins de déterminer si les modifications aux contrats de travail de l’ami et du fils de l’élue étaient de nature à procurer un avantage pécuniaire à l’élue. Ici, l’article 5.3.7 du Code reprend la règle de l’article 361 LERM. Le Tribunal conclut aisément que l’augmentation du salaire du fils ne peut affecter le patrimoine de l’élue puisque le fils est majeur, qu’il n’habite pas avec l’élue, qu’il est financièrement autonome et qu’il ne fournit pas de soutien à l’élue. Le Tribunal en arrive à la même conclusion pour l’ami puisque l’ami et l’élue ne cohabitent pas, qu’ils ne sont ni époux, ni conjoints, ni conjoints de fait et qu’ils sont autonomes au niveau financier. Dans ce cas, aucun des deux ne reçoit de l’aide de l’autre sur le plan financier et il n’existe aucune obligation alimentaire entre eux.
La solution n’est pas toujours si claire et c’est une question souvent délicate de déterminer si le membre du conseil a un intérêt direct ou indirect ou un intérêt pécuniaire particulier dans le contrat de travail qui lie son conjoint et la municipalité. Nous y reviendrons dans une prochaine chronique.