Les devis municipaux contiennent généralement plusieurs clauses visant à protéger la municipalité contre les réclamations de coûts additionnels causés par une mauvaise évaluation des quantités, des erreurs dans les documents de soumission, de mauvais renseignements fournis par la municipalité ou encore des modifications de travaux non autorisées selon la procédure établie.
La Cour supérieure a réitéré récemment que la présence de telles clauses d’exonération ne suffisait pas toujours à protéger le donneur d’ouvrage des coûts supplémentaires pouvant découler de la découverte de conditions différentes de celles annoncées au document d’appel d’offres. Il s’agit de l’affaire Les Excavations Lafontaine inc. c. Ville de Fossambault-sur-le-Lac(1) rendue le 2 décembre 2015.
Dans cette affaire Les Excavations Lafontaine inc. (Lafontaine) réclame de la défenderesse, Ville de Fossambault-sur-le-Lac (la Ville), une somme de 82 987,23 $ pour des travaux supplémentaires réalisés dans le cadre d’un contrat obtenu suite à un appel d’offres public et visant la vidange des boues de la station d’épuration des eaux usées de la Ville.
Il faut voire que préalablement à l’octroi de ce contrat, la Ville avait mandaté une firme pour obtenir une évaluation de la quantité de boues à extraire, laquelle était estimée à 304.77 tonnes.
En se fiant sur cette mesure, Lafontaine propose un prix forfaitaire dans son bordereau de soumission. La Ville accorde le contrat à Lafontaine qui confie la majeure partie des travaux de vidange à un sous-traitant spécialisé en la matière. Lafontaine et son sous-traitant constatent toutefois que la quantité réelle de boues à extraire est de 406.95 tonnes plutôt que les 304.77 tonnes annoncées dans le devis.
Le Tribunal formule la question à laquelle il doit répondre de la façon suivante :
La Cour supérieure fait une revue de la jurisprudence concernant l’obligation de renseignement des municipalités en reprenant les extraits suivants d’une décision rendue en 2004 dans une cause qui intéressait la Municipalité de La Pêche et qui résume bien l’état du droit sur le sujet(2) :
« [34] Surtout depuis l’arrêt Bail de la Cour suprême, l’obligation de renseignement va au-delà du simple devoir de ne pas (sic) donner de fausses informations. Aussi, pouvons-nous comprendre que les clauses du contrat de construction qui imposent l’acceptation des conditions existantes, ne constituent pas une reconnaissance que les devis sont exacts, ni un acquiescement aux erreurs du devis.
[…]
[36] Lorsque le donneur d’ouvrage jouit d’une expertise importante ou qu’il est assisté d’experts-conseils pour préparer les documents qu’il remet aux soumissionnaires, l’entrepreneur est justifié de se fier à cette expertise et de présumer que les informations données quant aux conditions du sol et du roc le renseignent de façon adéquate et suffisante.
[…]
[38] Pour écarter l’application d’une clause d’exonération de responsabilité, les tribunaux ont fait appel à la notion de contrat d’adhésion. Cette notion s’attache à l’absence de faculté de négocier librement les stipulations essentielles du contrat. Toutefois, la qualification de contrat d’adhésion n’implique pas une protection de l’adhérent qui irait à l’encontre de la nature même du contrat et des buts poursuivis par l’appel d’offres public. Sans hésitation, dans Walsh & Brais, la Cour d’appel a mis de côté la clause d’exonération en donnant priorité à l’obligation de renseignement.
[39] La présence d’une clause d’exonération dans un contrat de construction ne suffit plus à protéger le donneur d’ouvrage des coûts supplémentaires découlant de conditions différentes de celles annoncées aux documents d’appel d’offres.
[…]
[41] Fondés sur les principes précédemment élaborés, les jugements les plus récents accordent des indemnités pour compenser les conséquences directes du manquement à l’obligation de renseignement. Les sommes allouées varient selon les travaux supplémentaires requis et les coûts additionnels engendrés par les modifications rendues nécessaires en raison de ce manquement.» (soulignements du juge)
Fort de ces principes, le Tribunal conclut que Lafontaine était bien fondée de se fier aux données fournies par la Ville, d’autant plus que l’estimation des quantités avait été faite par une firme spécialisée en la matière.
Du même coup, le Tribunal rejette la défense de la Ville pour laquelle le fait de compléter un bordereau de soumission pour le contrat de vidange des boues municipales était assimilable à un « gambling » de la part de l’entrepreneur. Le Tribunal rejette cette comparaison comme étant « malheureuse et certainement inappropriée » en ajoutant que si l’entrepreneur avait participé à un tel jeu de hasard, « on pourrait dire que les dés ont été pipés par la Ville ».
La décision dans Les Excavations Lafontaine inc. c. Ville de Fossambault-sur-le-Lac est donc intéressante en ce qu’elle nous rappelle que les clauses d’exonération à l’avantage de la Ville ne sont pas à toute épreuve. Comme les contrats adjugés suite à un appel d’offres sont considérés comme des contrats d’adhésion, c’est-à-dire un contrat dont le soumissionnaire ne peut négocier les clauses, alors un tribunal pourra s’autoriser des dispositions du Code civil du Québec pour écarter comme étant abusives les clauses d’exonération contenues dans un tel contrat.
Naturellement, il s’agit d’un domaine où l’expression « chaque cas est un cas d’espèce », trouve particulièrement application et où le comportement et la bonne foi des parties joueront beaucoup dans l’évaluation finale que fera le juge face à une réclamation pour suppléments liée à un prétendu manquement à l’obligation de renseignement de la municipalité.
(1) 2015 QCCS 6076.
(2) Ed Brunet et Associées c. Municipalité de La Pêche, 2004 CanLll 46988 (QCCS)