D’entrée de jeu, la Cour d’appel souligne que depuis sa création en 1915 la Municipalité de Lac-Tremblant-Nord comporte cette particularité à savoir qu’une grande partie des propriétés ne sont accessibles qu’en bateau à partir d’une marina sur la rive du Lac-Tremblant.
La décision de la Cour d’appel renverse la décision antérieure de la Cour supérieure du 17 janvier 2012 par laquelle le tribunal avait ordonné la publication d’une série de servitudes grevant trente-quatre (34) lots et correspondant à un chemin d’une longueur de plus de cinq (5) kilomètres, coupant la majorité des terrains traversés en deux. Ce jugement avait également fixé des indemnisations aux propriétaires concernés et déclaré la réglementation municipale inopposable puisque discriminatoire.
En effet, selon le juge de la Cour supérieure, il était injuste que les demandeurs n’aient pas droit à un accès à leur propriété qui soit similaire à celui-ci utilisé par les autres résidents riverains du Lac-Tremblant-Nord mais situés dans la municipalité voisine, soit la Ville de Mont-Tremblant.
La décision de la Cour supérieure et de la Cour d’appel analysent la notion d’enclave que l’on retrouve à l’article 997 du Code civil du Québec qui prévoit :
«997. Le propriétaire dont le fonds est enclavé soit qu’il n’ait aucune issue sur la voie publique, soit que l’issue soit insuffisante, difficile ou impraticable, peut, si on refuse de lui accorder une servitude ou un autre mode d’accès, exiger de l’un de ses voisins qu’il lui fournisse le passage nécessaire à l’utilisation et à l’exploitation de son fonds.
Il paie alors une indemnité proportionnelle au préjudice qu’il peut causer. »
Selon le juge de la Cour supérieure, le droit au désenclavement prévu à l’article 997 C.c.Q. constitue un droit fondamental dont on ne pouvait priver les demandeurs.
Cette décision de la Cour supérieure représentait, selon nous, une brèche importante au principe voulant que le développement du territoire incluant l’aménagement des routes, chemins et accès, qu’ils soient privés ou publics, doit relever de la discrétion du conseil municipal. En effet, fort de la déclaration de la Cour supérieure quant à l’existence d’un droit fondamental au désenclavement, n’importe quel promoteur pouvait dorénavant se servir de ce précédent pour réclamer le droit de faire passer une route pour désenclaver sa ou ses propriétés.
La Cour d’appel a toutefois renversé cette décision de la Cour supérieure. Pour les juges Dalphond et Savard, le jugement de la Cour supérieure doit être réformé principalement pour des questions relatives à la gestion de l’instance devant la Cour supérieure. Par contre, l’honorable Juge Lévesque, tout en étant d’accord avec ses deux collègues quant aux accros procéduraux, voit la nécessité d’aller plus loin et de se prononcer sur la question de l’enclave.
Entre autres, le Juge Lévesque de la Cour d’appel revient sur la décision de l’honorable Juge Baudoin dans Withtworth c. Martin où celui-ci avait écrit : « qu’à l’époque moderne, il m’apparaît difficile de prétendre que l’intimé ne peut avoir accès à sa propriété qu’à pied et non en voiture ». Dans l’affaire Withworth, la propriété concernée était également située en bordure d’un lac et l’extrait précité du Juge Baudoin a souvent été invoqué pour requérir un désenclavement au sens de l’article 997 C.c.Q. Aussi, tant les demandeurs que le juge de première y avaient vu une indication à l’effet qu’à « l’époque moderne » un accès par bateau était un accès insuffisant au sens de l’article 997 C.c.Q.
Le Juge Lévesque de la Cour d’appel fait une analyse poussée de cette disposition du Code civil du Québec et après avoir analysé de nombreux texte de doctrine, il retient que ce sont les notions d’utilisation et d’exploitation d’un terrain qui sont fondamentales pour déterminer si les circonstances donnent ouverture à un désenclavement au sens de l’article 997 C.c.Q. Selon le juge de la Cour d’appel, la Cour supérieure aurait dû tenir compte de divers facteurs relatifs à l’exploitation des terrains des intimés et conclure que ceux-ci n’étaient pas enclavés dans les circonstances. Le juge rappelle que depuis sa création en 1915, la Municipalité de Lac-Tremblant-Nord s’est peu développée et que sa vocation de villégiature occupe toujours une place importante dans sa réglementation. Cette réglementation municipale favorise une villégiature de très faible densité et prône la préservation du milieu naturel en autorisant un déboisement minimal des terrains.
Ainsi, malgré les difficultés occasionnelles rencontrées par les intimés qui ne peuvent avoir accès à leur propriété pendant les périodes de gel et de dégel du lac, il n’y a tout de même pas lieu de conclure à une situation d’enclave.
Cette décision de la Cour d’appel, très intéressante pour les pouvoirs municipaux, vient confirmer indirectement que la réglementation municipale a généralement préséance sur les dispositions du Code civil du Québec. Aussi, il était important que la Cour d’appel renverse la décision de la Cour supérieure puisqu’à l’instar de l’utilisation qui a été faite de la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Withworth, certains propriétaires et promoteurs auraient pu vouloir s’inspirer du jugement de la Cour supérieure pour réclamer un droit au désenclavement et partant, un droit quasi fondamental au développement de leur propriété. Avec cette décision, nous pouvons conclure que le principe de la discrétion municipale en matière d’ouverture de chemins et de routes, a réussi à repousser un nouvel assaut ou une brèche qu’on tentait d’y apporter cette fois-ci par le biais de la notion d’enclave.
Comme un seul des trois juges s’est prononcé au fond sur la notion d’enclave, restera à savoir comment la jurisprudence traitera dorénavant ce précédent lorsque d’autres tenteront de se prémunir de l’article 997 C.c.Q. afin d’obtenir un droit de passage et l’aménagement d’une route sur des terrains voisins!
Magazine Bâtivert – hiver 2015, Vol. 19, numéro 1, p.8