Dans une décision récente portant sur la reconnaissance de droits acquis à l’égard d’un usage accessoire[1], la Cour supérieure a reconnu aux demandeurs un droit acquis leur permettant de stationner un camion-remorque à leur domicile, dans une zone à affectation agricole mixte résidentielle, malgré l’interdiction explicite contenue dans le règlement de zonage en vigueur.
Bien qu’explicitant spécifiquement le principe reconnu en jurisprudence et en doctrine qu’un droit acquis à un usage principal ne puisse naître d’un usage accessoire du bien, la Cour fait droit aux demandes des demandeurs en distinguant les faits particuliers de cette affaire. Qu’en est-il ?
Contexte factuel
Le litige oppose un citoyen, camionneur de profession, qui stationne jusqu’à deux véhicules lourds et remorques sur le terrain qu’il occupe à la Municipalité de Saint-Liboire. Celle-ci modifie en 2012 son règlement de zonage et soutien que cette modification a pour effet de permettre le stationnement de véhicules lourds dans certaines zones, tout en l’interdisant pour le reste, de sorte qu’elle maintient que ce type de stationnement était tout autant interdit auparavant. Les demandeurs soutiennent plutôt que la modification a pour effet d’interdire un usage autrefois permis.
Cette interdiction soulève ainsi la question de la légalité de la pratique existante au moment de l’adoption du règlement et la question de l’attribution de droits acquis à l’endroit d’un usage accessoire.
Analyse des droits acquis
La Cour rappelle que le droit acquis permet à un propriétaire de continuer un usage légalemententamé avant l’adoption d’une nouvelle réglementation qui rendrait cet usage non conforme. Pour que ce droit soit reconnu, elle reprend les critères énoncés dans l’arrêt Huot, notamment à l’effet quel’usage doit avoir étéautorisé par le règlement antérieur, qu’il existe toujours et qu’il ait été exercé de façon continue, sans interruption significative.
Elle souligne également la notion d’usage accessoire, qu’elle définit comme étant la reconnaissance que certaines utilisations du sol qui, bien qu’elles ne soient pas expressément permises par le zonage en vigueur, doivent être autorisées du fait qu’elles sont l’extension d’un usage principal permis.
Usage principal vs. usage accessoire
La Cour ne fait pas droit aux prétentions de la Municipalité à l’effet qu’un droit acquis ne peut être reconnu à l’égard d’un usage accessoire, soulignant plutôt qu’une étude de la jurisprudence lui permet d’établir le constat suivant : « si un droit acquis doit toujours découler d’un usage principal initialement permis, il peut aussi permettre la poursuite d’un usage accessoire ou complémentaire qui serait désormais prohibé. »[2]
Elle précise néanmoins que « l’usage accessoire qui était permis antérieurement pourra être reconnu en dérogation au nouveau règlement, mais toujours et seulement à titre d’usage accessoire, nécessairement du même usage principal, demeuré légal ou lui-même titulaire d’un droit acquis. »[3]
S’appuyant sur la doctrine (Lorne Giroux, Marc-André LeChasseur) et la jurisprudence (notamment l’arrêt Verdun[4] et l’arrêt Nadeau[5]), elle clarifie ainsi qu’un usage accessoire peut être implicitement permis, même en l’absence de disposition réglementaire l’autorisant formellement, et ainsi donner lieu à la reconnaissance d’un droit acquis à l’égard de cet usage accessoire. La notion d’usage accessoire découlant essentiellement de sa relation fonctionnelle avec l’usage principal, ici résidentiel, et doit être analysée au cas par cas.
Qualifiant le stationnement par les demandeurs des véhicules lourds et remorques d’usage accessoire, notamment alors qu’il s’agit d’un usage accessoire, dépendant, subsidiaire et complémentaire à l’usage principal, la Cour, toujours à la lumière des critères de l’arrêt Huot[6] poursuit son analyse afin de déterminer si le stationnement de ces véhicules était autorisé avant la modification réglementaire.
Interprétation du silence réglementaire
La Cour rejette l’argument de la Municipalité fondé sur un article du règlement antérieur selon lequel « tout usage non expressément permis est interdit »[7]. Cette disposition générale en est une imprécise et ne peut, selon elle, suffire à exclure les usages accessoires, dont la légalité repose d’abord sur leur lien fonctionnel avec l’usage principal.
Le silence du règlement est donc interprété en faveur de la permissivité, compte tenu : (i) du caractère sommaire et désordonné du règlement antérieur en matière d’usages accessoires, (ii) du contexte local, où le stationnement de véhicules lourds était socialement et économiquement accepté et (iii) du fait que l’usage en question était conforme aux attentes légitimes du voisinage.
Ainsi, la Cour conclut qu’il n’est pas toujours requis que la réglementation antérieure autorise de façon générale les usages accessoires afin que ceux-ci soient considérés comme étant autorisés, en fonction du contexte, du fondement même de leur caractère accessoire et complémentaire à l’usage principal autorisé.
Reconnaissance du droit acquis
La Cour conclut ainsi que le stationnement des véhicules lourds sur la propriété des demandeurs, antérieur à la modification réglementaire, constituait un usage accessoire permis de facto. Il ne peut donc être interdit rétroactivement et celle-ci accueille la demande des demandeurs en jugement déclaratoire.
Malgré ce qui précède, une telle décision ne confère néanmoins pas à un propriétaire plus de droits que ce qui lui revient réellement. Ainsi, bien qu’un usage accessoire puisse être protégé par droit acquis du fait qu’il constituait antérieurement un usage accessoire légal, il ne saurait toutefois être reconnu, après l’entrée en vigueur du nouveau règlement, à titre d’usage principal bénéficiant de droit acquis, cet usage dérogatoire devant se limiter à être exercé de manière accessoire à un usage principal légal, ou bénéficiant de droits acquis également.
L’analyse des droits acquis commande ainsi une lecture attentive de la réglementation municipale antérieure, afin de déterminer du traitement des usages accessoires, lesquels peuvent faire l’objet de droits acquis, par exception à la règle.
Pour toutes questions en la matière, n’hésitez pas à communiquer avec l’équipe de DHC Avocats.
[1] Seyer c. Municipalité de Saint-Liboire, 2025 QCCS 294.
[2] Par. 41 du jugement.
[3] Par. 51 du jugement.
[4] Verdun (Ville de) c. 3086-9671 Québec inc. J.E. 97-607 (C.S.).
[5] Nadeau c. Montréal (Ville de), 2007 QCCA 1037.
[6] Huot c. Municipalité de l’Ange-Gardien, 1992 CanLII 3267.
[7] Par. 88 du jugement.