Le maire de Ristigouche Par tie Sud-Est, M. François Boulay, peut respirer un peu mieux. Quatre années de procédures déchirantes opposant sa municipalité à l’entreprise pétrolière Gastem se sont achevées en septembre. L’heure est à la décision de la cour.
L’issue de ce procès historique était encore inconnue au moment de mettre sous presse, mais sa portée se faisait déjà très vaste. En effet, le jugement, une fois rendu, fera école dans les conseils municipaux des quatre coins du Québec.
La jurisprudence de Ristigouche contre Gastem n’a pas de rapport avec la protection de l’eau potable. C’est une décision judiciaire qui va déterminer : est-ce qu’une municipalité peut règlementer n’importe quel bien commun […] sans risquer de se faire poursuivre en dommages et intérêts », explique M. Boulay.
Le maire ne s’en cache pas, l’épreuve fut éprouvante pour lui comme pour ses concitoyens. « L’annonce d’une opportunité d’investissement économique soulève l’espoir des citoyens. Lorsqu’il y a de l’opposition, ça divise une communauté. Ça brise des relations humaines entre voisins. […] C’est long, quatre ans », relate M. Boulay, rappelant aussi le lourd boulet financier que doit assumer Ristigouche.
L’organisme Solidarité Ristigouche a d’ailleurs été créé pour subvenir aux besoins financiers de la municipalité qui, autrement, n’aurait pas pu voir le bout des procédures judiciaires l’opposant à Gastem.
Au Congrès de la FQM, le maire a d’ailleurs tenu à remercier chaudement tous ceux et celles qui ont contribué à l’atteinte de l’objectif fixé par Solidarité Ristigouche, soit un peu plus de 328 000 $.
UNE QUESTION FONDAMENTALE
Joint par QUORUM pour commenter l’affaire, le procureur de Ristigouche Sud-Est, Me Jean-François Girard, est ferme quant à la responsabilité des élu(e)s municipaux à l’égard des décisions qu’ils prennent.
« Les élu(e)s ne doivent pas avoir peur de prendre des décisions et d’adopter des règlements qu’ils croient justes, explique l’avocat spécialisé en droit municipal chez Dufresne Hébert Comeau. Ils ont le droit de se tromper. Même si le règlement est par la suite déclaré illégal. Cela n’entraîne pas l’octroi automatique de dommages. »
Les règles de droit public protègent les administrations publiques dans l’exercice du rôle d’élu(e). Sinon, au moindre faux pas, les administrations pourraient devoir verser des millions en dédommagement.
« Imaginez si à chaque fois qu’un règlement adopté en toute légitimité déplait à un promoteur, qu’il entraîne le versement de dommages importants à ce dernier, plus aucune municipalité ne voudrait adopter quoi que ce soit »,soulève l’avocat.
LES ÉLU(E)S AUX COMMANDES
Ristigouche n’est pas la seule communauté à se battre pour protéger ses ressources en eau potable, selon Me Girard. Le changement de paradigme s’opère partout, notamment dû au fait qu’on demande désormais aux municipalités d’occuper le rôle de gouvernement de proximité, ce qui implique de nombreuses considérations environnementales.
Pour l’avocat, une chose demeure plus évidente que jamais : « des élu(e)s me disent parfois qu’ils aimeraient reprendre le contrôle du développement sur leur territoire. Je suis abasourdi à chaque fois. Les boss des municipalités sont les élu(e)s », défend celui qui s’explique mal que des développeurs immobiliers, entre autres, aient réussi à imposer leur vision des choses
pendant si longtemps.
LE RPEP
Ristigouche a établi son règlement de 2013 en se basant sur un modèle de règlement adopté pour la première fois à Saint-Bonaventure, dans le Centre-du-Québec, en plein coeur de la bataille contre l’exploitation des gaz de schiste.
Formulé par le docteur en droit Richard E. Langelier, le « Règlement de Saint-Bonaventure » a été adopté par plus d’une centaine de municipalités au cours des dernières années, jusqu’à ce que Québec mette en vigueur le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP) en 2014.
L’arrivée du RPEP a rendu caducs les règlements précédemment adoptés par les municipalités puisque la législation provinciale prévalait.
Il y est stipulé qu’ « il est interdit d’aménager un site de forage ou de réaliser un sondage stratigraphique […] à moins de 500 m d’un site de prélèvement d’eau effectué à des fins de consommation humaine ou de transformation alimentaire » (article 32) et qu’ « une opération de fracturation dans un puits destiné à l’exploration ou à l’exploitation du pétrole ou du gaz naturel est interdite à moins de 400 m sous la base d’un aquifère » (article 40).
Jugeant ces dispositions insuffisantes pour protéger convenablement les sources d’eau potable, un collectif scientifique mené par Me Langelier a répliqué au gouvernement en proposant aux municipalités une nouvelle mouture du règlement municipal.
À ce jour, pas moins de 300 municipalités représentant en tout 2 millions de citoyens ont adopté ce règlement qui, lui, impose des distances horizontale et verticale respectives de 2 km et de 1 km.
Le collectif a par la suite demandé au ministre de l’Environnement de l’époque, David Heurtel, d’approuver une dérogation qui ferait en sorte que ce règlement local prévaudrait sur le RPEP. Par voie de lettre, le ministre a répondu aux municipalités concernées que la demande de dérogation n’était pas recevable tant qu’une démonstration spécifique de la vulnérabilité des
sources d’eau pour chaque territoire n’aura pas été produite.
L’HISTOIRE D’UN PROCÈS HISTORIQUE
En 2012, Gastem a obtenu de la part du ministère des Ressources naturelles un permis de forage sur le territoire de Ristigouche Partie Sud-Est.
Inquiète pour l’intégrité de son eau potable et devant l’absence d’une règlementation provinciale digne de ce nom, la municipalité a pris les devants et a adopté, à la faveur d’une majorité de citoyens, un règlement interdisant tout forage dans un rayon de deux kilomètres.
S’estimant lésée par la règlementation municipale, Gastem a entamé des procédures judiciaires en dommages et intérêts contre Ristigouche Partie Sud-Est. L’entreprise cherchait à obtenir une compensation financière frisant les 1,5 M$ de la petite municipalité dont le budget d’opération n’est que de 281 000 $.
Les procédures ont suivi leur cours jusqu’en septembre dernier, date à laquelle s’est tenu le procès tant attendu.
Lors de leur dernière assemblée générale annuelle, les membres de la FQM ont adopté une résolution visant à maintenir un moratoire de cinq ans sur tout projet de fracturation hydraulique. Les élu(e)s ont aussi voté une autre résolution demandant au gouvernement de retirer les quatre projets de règlements sur les hydrocarbures déposés au début septembre.
Une rencontre sous le signe du changement
Les 29 et 30 novembre dernier avait lieu la première Assemblée des MRC depuis les élections municipales. La FQM a profité de ce vent de changement pour rappeler la pertinence de cette réunion aux préfets et préfètes nouvellement élu(e)s. La présence du ministre Pierre Moreau fut l’un des points forts de la rencontre.
Les MRC jouent désormais un rôle de pivot entre le gouvernement et les municipalités locales, notamment avec le PL 122 et les nouveaux règlements entourant la Loi sur la qualité de l’environnement qui leur donnent plus de pouvoirs et de responsabilités. De ce fait, la FQM est vouée à prendre position sur des enjeux touchant l’aménagement du territoire. L’Assemblée des MRC est donc plus que jamais un incontournable auxquelles doivent assister les élu(e)s municipaux », affirme M. Richard Lehoux, président de la FQM jusqu’à l’élection du prochain président, en février prochain.
La présence du nouveau ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, M. Pierre Moreau, venu parler des contestés projets de règlements sur les hydrocarbures, a confirmé toute l’importance de cette réunion.
L’avenir des écoles au Québec a aussi été un sujet important de cette rencontre. Étant à la fois le noyau du village et un attrait essentiel à la vitalité d’un territoire, les municipalités font tout en leur pouvoir pour les mettre en valeur ou simplement les préserver chez elles.
En ce sens, la FQM a invité le triathlète Pierre Lavoie, l’architecte Pierre Thibault et le chef Ricardo Larrivée à présenter leur projet Lab-école qui bénéficie d’un budget de 1,5 million $. Celui-ci vise à repenser les écoles québécoises en matière d’alimentation, de sport et d’architecture afin qu’elles soient plus modernes et attrayantes pour la jeunesse.
Soulignons que les diverses propositions soulevées lors de l’Assemblée des MRC ont été soumises au conseil d’administration de la FQM le lendemain.