Les changements climatiques sont là. Indéniablement. Nous devons maintenant conjuguer avec leurs impacts et conséquences dans nos vies quotidiennes. De plus en plus, il est maintenant question d’adaptations aux changements climatiques. Mais de quelles adaptations s’agit-il? Bien sûr de nos comportements (consommation, déplacements, économies d’énergies, etc.), mais aussi de modifications de nos milieux de vie. Que l’on pense seulement aux îlots de chaleur qu’il faut dorénavant combattre tout en évitant d’en aménager de nouveaux. C’est le coeur même de nos concepts d’aménagement urbain qu’il faut revoir.
Pour les fins de cette chronique, nous voulons davantage discuter de notre relation aux lacs et cours d’eau, à l’heure des inondations exacerbées par les changements climatiques.
Pays de lacs et cours d’eau, le Québec s’est d’abord construit par les chemins d’eau qui furent les principales voies de pénétration du continent. Depuis toujours, aussi, la force du courant des rivières a été recherchée pour actionner moulins, turbines et autres engrenages qui ont permis à nos usines et industries de fonctionner et produire le Québec économique. Depuis toujours, également, les humains ont cherché à s’installer en bordure des lacs et cours d’eau pour profiter de l’environnement privilégié qu’offre la proximité du plan d’eau. Depuis toujours, donc, nos lacs et cours d’eau ont fait l’objet d’une occupation et d’une utilisation intenses de la part des humains, chaque nouvelle installation ajoutant cependant un peu plus de contraintes sur le milieu naturel.
Plusieurs chercheurs s’entendent pour dire que les changements climatiques auront une influence certaine sur les régimes hydrologiques de nos cours d’eau, exacerbant les impacts de ceux-ci sur les activités et infrastructures humaines. Les inondations printanières de 2011, 2017 et 2019 sonnent nécessairement un réveil à ce sujet. Pour le dire simplement, nos cours d’eau sont désormais trop à l’étroit dans le carcan anthropique dans lequel nous avons tenté de les contenir. Il convient donc de revoir nos approches de gestion des cours d’eau. C’est ici qu’intervient le concept d’« espace de liberté » des cours d’eau, ce concept étant défini comme correspondant à la somme de l’espace de mobilité – lié à la dynamique latérale des cours d’eau – et de l’espace d’inondabilité – lié à la récurrence de crues de différentes magnitudes. À ces deux espaces s’ajoutent les milieux humides riverains qui jouent un rôle clé, tant du point de vue hydrologique qu’écologique1.
Le concept d’« espace de liberté » d’un cours d’eau est révolutionnaire en ce qu’il nous invite à revoir complètement notre relation aux cours d’eau et notre propension à vouloir les « entretenir » pour « rétablir l’écoulement normal des eaux » selon les mots mêmes de l’article 105 de la Loi sur les compétences municipales ou à les « contenir » au moyen de digues et murets de protection. Au contraire, il s’agit de redonner plus d’espace à nos rivières afin de leur permettre de déborder quand le trop-plein d’eau printanier se fait sentir.
Les Pays-Bas ont, depuis plusieurs années, entreprise un virage important afin de redonner leur espace de liberté aux cours d’eau. À coup de milliards de dollars…
À la vue des inondations des dernières années, ici au Québec, nous en venons à nous demander si nous ne sommes pas rendus à un stade où, nous aussi, nous devrons redonner à nos cours d’eau l’« espace de liberté » qui leur revient. Avant que cela ne nous coûte encore plus cher.
[1] Pascale BIRON et al., Espace de liberté : un cadre de gestion intégrée pour la conservation des cours d’eau dans un contexte de changements climatiques, OURANOS, juillet 2013, p. 5.