Un survol des décisions sur les répertoires en ligne du tribunal compétent en matière d’expropriation, le Tribunal administratif du Québec (« TAQ »), permet de constater que celui-ci a développé pendant une certaine période, un courant jurisprudentiel ayant considéré les frais d’avocats comme des dommages occasionnés directement par l’expropriation. Il faut dire que ce courant jurisprudentiel s’écartait de la jurisprudence classique antérieure des tribunaux d’expropriation, lesquels avaient toujours rejeté ces frais comme chef de dommage causé directement par l’expropriation.
La controverse ayant existé a conduit deux fois plutôt qu’une cette question devant la Cour d’appel du Québec. La Cour d’appel eut donc à s’attarder à l’article 58 de la Loi sur l’expropriation qui encadre l’octroi de l’indemnité d’expropriation et qui limite le préjudice qu’à celui causé directement par l’expropriation.
L’historique judiciaire de ce débat est intéressant et c’est pourquoi je m’y attarde un peu. En matière d’expropriation, la Cour d’appel dans l’arrêt Ceveco inc c. Municipalité de St-Hippolyte[1] déclara que les frais d’avocats (honoraires extrajudiciaires) ne pouvaient être accordés en l’absence d’une preuve de mauvaise foi ou d’abus de procédures, suivant en cela, la règle générale en droit québécois. La même année, la Cour d’appel dans l’arrêt Viel[2] énonça le principe que les honoraires d’avocats ne peuvent être considérés comme un dommage direct. Suivant cette règle, c’est exceptionnellement que la Cour d’appel a reconnu que les honoraires payés par une partie à son avocat peuvent constituer un dommage indemnisable. Cela peut ainsi être le cas lorsqu’il y a eu mauvaise foi sur le fond du litige ou abus de procédures.
Quelques années après l’arrêt Ceveco, et suite à quelques décisions du TAQ ayant poursuivi quand même l’octroi des frais d’avocats à titre de dommages causés par l’expropriation, la question remonta une seconde fois les échelons judiciaires. Dans l’affaire PGQ c. Lord[3], la juge unique de la Cour d’appel rejeta une demande pour permission d’en appeler d’un jugement de la Cour supérieure ayant décidé dans le sens de l’arrêt Ceveco, soit à l’effet que les frais d’avocats n’étaient pas indemnisables ni en droit civil ni en expropriation, sauf exceptions. La juge unique déclara à cette occasion que le TAQ et la Cour du Québec, dans l’affaire devant elle, n’avaient eu aucune raison valable de ne pas suivre la règle précédemment établie.
En cas de désistement,
Il arrive que la partie expropriante demande de se désister de son expropriation. Lorsqu’il y a un tel désistement accordé par le Tribunal, la règle vue ci-devant n’est pas la même eu égard au remboursement des frais d’avocat. La Cour d’appel a en effet reconnu en 1998[4] et 1999[5] que les frais d’avocats pouvaient être remboursés à titre de dommages pour certains travaux légaux, soit ceux engagés par la réception de l’avis d’expropriation et son désistement. Dans cette seule mesure, le coût de ces travaux fut reconnu comme dommage relié directement au désistement.
Dans les dossiers où il y a bel et bien eu expropriation s’étant concrétisée, par opposition à une expropriation ayant fait l’objet d’un désistement, la question de la bonne foi et du comportement de la partie expropriante devient donc très importante puisque dans les cas avérés de mauvaise foi, en plus des cas d’abus de procédures, les frais d’avocats peuvent devenir remboursables.
Les réclamations de frais d’avocats devant le TAQ en matière d’expropriation sont communément formulées dans la pratique. Il importe ainsi pour les villes expropriantes de démontrer dans le cours du dossier d’expropriation un comportement irréprochable, et ce, en raison du fait que l’expropriation constitue une atteinte importante au droit à la propriété privée. De cette manière, sera diminué le risque d’être accablé d’allégations d’abus ou de mauvaise foi et de devoir par la suite s’en défendre.
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[1] C.A. 500-09-008908-998, 21 novembre 2002
[2] Viel c. Entreprises immobilières du Terroir ltée [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.)
[3] C.A. 200-09-005955-072, 14 juin 2007
[4] Ville de Shawinigan c. Duquette, C.A. 200-09-000727-914, 22 avril 1998
[5] Le camp Watchichou inc. c. PGQ et al.,C.A. 200-09-000471-943, 2 juin 1999
Chronique parue dans Le Carrefour, Mars 2015.