J’ai pu constater en pratique que la portée complète des effets de l’imposition d’une réserve est quelquefois méconnue. Je me propose ainsi dans un premier temps de traiter des effets énoncés de façon expresse à la Loi sur l’expropriation, puis m’attarder à certains autres effets moins manifestes, mais méritant d’être considérés.
La Loi sur l’expropriation contient les dispositions visant l’imposition d’une réserve pour fins publiques à ses articles 69 et suivants. Il est assez bien connu que pendant la durée d’une réserve, il y a prohibition de toute construction, amélioration (sauf réparation et entretien normal), ou addition sur l’immeuble[1]. L’impact juridique de cette règle étant que si de tels travaux sont malgré tout effectués, la plus-value attribuable à ceux-ci ne pourra éventuellement être indemnisée en cas d’expropriation[2].
La réserve demeure en vigueur pour une période initiale de 2 ans, laquelle peut être renouvelée une seule fois pour deux autres années.[3] En l’absence de renouvellement, il faut attendre 2 autres années avant de pouvoir imposer à nouveau une réserve[4].
L’effet principal de l’imposition d’une réserve est d’ainsi assurer le gel du développement du bien réservé et ainsi la consistance de ce bien à la date de la réserve. Bien que l’imposition d’une réserve sur un immeuble n’empêche pas l’aliénation par son propriétaire, la spéculation sur celui-ci est à tout le moins freinée puisque que peu ou pas avantageuse pour le tiers acquéreur compte tenu des contraintes publiques qui pèsent sur le bien.
L’un des autres effets significatifs à signaler est celui dégagé par la jurisprudence majoritairement établie[5] à l’effet que si la réserve est suivie d’une expropriation, la date de l’évaluation du bien exproprié correspond alors à la date de l’avis d’expropriation et non pas à la date de transfert de propriété ou de prise de possession ou encore à la date de l’audition au tribunal, comme cela peut-être le cas alternativement. Cet effet est important puisqu’il protège le cas échéant la partie expropriante de subir un gonflement du marché immobilier.
Doit être souligné que cette règle d’appariement de la date de l’évaluation du bien exproprié avec la date de l’avis d’expropriation ne fait pas l’unanimité, comme il appert d’une affaire[6] rendue par le Tribunal administratif du Québec (« TAQ ») maintenue en appel et en révision judiciaire sur d’autres points. En effet, dans cette affaire, le tribunal n’a pas voulu reconnaître qu’il existait une règle de correspondance automatique entre la date de l’avis d’expropriation et la date de l’évaluation du bien. Sur la base du concept de la juste indemnité, qui n’enrichit ni n’appauvrit, le TAQ fut alors d’avis que l’article 69 de la Loi sur l’expropriation ne pouvait être interprété en ce sens. Le TAQ a tenu à faire ressortir que s’il avait constaté entre la date de l’avis d’expropriation et la date de prise de possession, un marché immobilier en hausse, il en aurait alors fait bénéficier l’exproprié.
Parmi les autres effets dignes d’attention est celui découlant d’une absence d’expropriation au terme de la réserve et celui d’un abandon préalable de celle-ci. Le TAQ peut dans ces cas attribuer des dommages et intérêts[7]. La jurisprudence visant ce type de recours est assez nombreuse et illustre de nombreux cas de figure. Il faut retenir que conformément à l’article 85 L.E., le préjudice doit être « directement causé par l’imposition de la réserve » et que « l’indemnité payable (…) ne peut comprendre aucun montant à l’égard de l’utilisation que le propriétaire du bien réservé eut pu en faire n’eut été cette réserve ». Le juge Guy Dorion de l’ancienne Chambre de l’expropriation de la Cour du Québec, souvent cité en la matière déclarait : « Ce sont donc strictement les dommages qui sont réalisés par l’imposition de réserve à la date de cette imposition qui peuvent être indemnisés par la chambre en autant que ces dommages persistent après la levée de la réserve »[8]. Sans vouloir être exhaustif quant aux types de dommage ayant pu se qualifier comme découlant directement de l’imposition d’une réserve, les tribunaux accordent, ce qui est rare dans le système québécois, les frais d’avocats de la partie réservée. Il s’agit toutefois des honoraires immédiatement dépensés suite à la réception, l’étude et les conseils prodigués en lien avec l’avis de réserve.
Enfin, sortant du champ d’application de la Loi sur l’expropriation, il est particulièrement utile pour ceux qui surveillent les finances de la municipalité, d’être sensibilisés à l’impact d’un avis de réserve sur la valeur foncière de l’immeuble au rôle d’évaluation. Un courant jurisprudentiel de longue date a créé une présomption renversable de valeur nominale pour des immeubles pareillement affectés. Le TAQ a très récemment réaffirmé cette règle et conclu en vertu de celle-ci qu’en l’absence de démonstration de marché ou de vente d’immeubles réservés comparables, les biens visés par l’avis de réserve devaient être inscrits au rôle d’évaluation à 1,00 $.[9]
[1] Article 69 R.L.R.Q., c.E-24
[2] Article 70 R.L.R.Q., c.E-24
[3] Article 73 R.L.R.Q., c.E-24
[4] Article 78 R.L.R.Q., c.E-24
[5] Municipalité de Lac-Beauport c. Croteau, 2010 QCTAQ 08315; Ceveco inc. c. Municipalité de St-Hippolyte, 500-09-008908-998, le 21 novembre 2002 (C.A.)
[6] PGQ c. Montarville Investment Corporation, [2003] TAQ 1073; J.E. 2005-1323 (C.Q.); 2006 QCCS 3154 (C.S.)
[7] Articles 85 et 85.1 R.L.R.Q. c.E-24
[8] Procureur général du Québec et ministre des Transports c. Jean-Guy Morin, C.Q. 020-34-200008-859, 29 septembre 1989
[9] 6249671 Canada inc. c. Ville de Longueuil 2015 QCTAQ 01676
Chronique parue dans Le Carrefour, Juin 2015.