Dans un jugement d’une rare sévérité et malgré les nombreux moyens de défense invoqués, la juge Guylène Beaugé se montre catégorique dans sa conclusion relativement à la diffamation effectuée par la Ville. Au paragraphe 32 de la décision, elle écrit : « (…) rien, absolument rien ne l’autorisait à ternir la réputation de ERB, ses allégations téméraires, pernicieuses et calomnieuses s’avérant inutiles pour contrer l’action sur compte. ».
Le conflit dans cette affaire débute en 1996 quand la Ville confie à ERB (autrefois Groupe Projeco) un contrat de 18 millions pour la construction du réseau d’égout sur son territoire.
Trois ans après le début des travaux, la Ville insatisfaite cesse de faire ses paiements de sorte qu’elle est poursuivie pour environ 1 million de dollars en janvier 2001. La Ville réplique par une demande reconventionnelle au montant de 1.6 million en accusant l’entreprise « de fraude et d’abus de confiance ». Cette poursuite se réglera par le versement de 1.1 million d’honoraires à la firme de génie et par une lettre et un communiqué d’excuses publiés par la Ville en 2003.
Si ceci suffit à mettre un terme à l’action pour compte de l’entreprise, il en va autrement de la poursuite en diffamation qui elle suit son cours. À cet égard, la juge Beaugé rappelle que par la transaction sur la poursuite de 2001, l’entreprise n’avait pas donné quittance à la Ville relativement à la diffamation.
Quels que soient les arguments de défense qui sont apportés par la Ville, selon la juge « Il n’apparaît pas nécessaire d’en traiter dès lors que la Ville admet sa faute sans réserve dans sa lettre d’excuses et dans son communiqué de presse. ». Le jugement est toutefois silencieux à savoir si la lettre d’excuses et le communiqué ont été autorisés ou entérinés par résolution du conseil.
Quant aux dommages réclamés qui sont au montant de 2.5 millions, la Cour accordera un dédommagement de 1.8 million pour couvrir la perte de valeurs de l’entreprise ainsi qu’un montant de 50 000$ pour préjudice moral et de 30 000$ en dommages punitifs. Selon le Tribunal, les excuses de la Ville (lettre et communiqué de presse) n’y changent rien. La juge ajoute : « Le Tribunal estime par ailleurs que les excuses de la Ville ne sauraient servir à réduire l’indemnité en raison de son acharnement à vouloir attribuer une part de responsabilité à ERB. En effet, ce comportement procédural vide de leur sens et neutralise ses excuses et sa rétractation. ».
Dans le calcul du montant des dommages alloués, le Tribunal rappelle que l’atteinte à la réputation peut causer des pertes pécuniaires. Il indique qu’avant les allégations trompeuses de fraude et d’abus de confiance, ERB jouissait d’une excellente réputation. Le Tribunal rejette également l’argument de la Ville concernant l’absence de lien de causalité entre la diminution des activités d’ERB et les allégations de fraude et d’abus de confiance. La Cour conclut qu’elle préfère « nettement » l’expertise de l’entreprise à celle de la Ville relativement au quantum des dommages.
La décision de la Cour supérieure est datée du 14 août 2015 de sorte que le délai d’appel de 30 jours n’était toujours pas expiré au moment d’écrire la présente chronique. Nous verrons comment les élus actuels traiteront cette situation difficile dont ils ont malheureusement hérité d’une administration antérieure. Cette décision soulève toutefois de nombreuses questions juridiques importantes pour lesquelles il serait intéressant d’obtenir l’éclairage de la Cour d’appel du Québec.
Entretemps, cette décision nous rappelle l’importance pour les municipalités et leurs officiers d’éviter de ternir la réputation de leurs fournisseurs et partenaires contractuels, et ce, même lorsque l’on rencontre des difficultés dans l’exécution d’un contrat.
Magazine Marché Municipal
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